LA SUBVERSION DU CHRISTIANISME
- Jacques Ellul
- 27 juin 2018
- 5 min de lecture
AUTEUR : Jacques Ellul EDITIONS : Les éditions du Seuil
LA DÉSACRALISATION PAR LE CHRISTIANISME

...quand, dans l'Eglise, on va chercher à revenir "aux origines", par exemple au moment de la Réforme, cela va se traduire par un violent mouvement de désacralisation. La lutte de la Réforme a été presque tout entière centrée sur la volonté de détruire le " sacré " qui avait envahi l'Eglise catholique. Mais il faut surtout retenir les accusations portées contre les premiers chrétiens, dans les plus anciens textes romains qui les concernent où ils sont considérés non seulement comme " ennemis du genre humain ", mais aussi comme athées et destructeurs des religions. Les Romains ne vivaient pas du tout le christianisme naissant en tant que nouvelle religion mais en tant que " antireligion ". Leur appréciation était assurément fondée. Ce que les premières générations chrétiennes mettaient en cause, ce n'était pas seulement la religion impériale comme on l'a dit souvent mais toutes les religions du monde connu.

La question que je voudrais soulever ici, c'est précisément comment, à partie de cette première prise de position, fondamentalement critique, l'Eglise et les chrétiens ont-ils progressivement reconstitué un sacré, des formes religieuses, et une resacralisation du monde. Mais, auparavant , il est utile de montrer un peu plus en quoi consistait cette désacralisation. Elle s'effectue à deux niveaux, en deux époques différentes, par l'action de la pensée théologique hébraïque et par celle du développement chrétien. Tout le monde sait que dans la Bible juive, dans le Pentateuque ou chez les Prophètes, il y a une violente attaque contre les religions. Trop souvent on l'interprète de la façon la plus élémentaire en estimant qu'il s'agit d'un conflit entre religions. Ce n'est pas du tout la question. En réalité, le combat est mené contre le sacré…
Les premiers chrétiens n'avaient aucune espèce de révérence particulière pour le lieu où se réunissaient les fidèles, où on écoutait la Parole de Dieu et célébrait les sacrements. C'était un lieu quelconque. Mais à partir du moment où ce lieu devient un bâtiment splendide, impérial, et où par ailleurs change aussi la théologie du sacrement (nous y reviendrons), ce lieu radicalement différent de tout autre est investi des croyances concernant les temples païens. Il y a une présence particulière de Dieu en ce lieu… et c'est très exactement le sentiment du sacré qui remonte. Qui plus est on va même séparer dans l'église deux parties, comme dans les temples païens. Une partie pour les fidèles, plus " profane " et une partie pour les prêtres où se célèbre la cérémonie religieuse elle-même. Cela aussi est tout à fait typique de la reconnaissance d'un lieu sacré exceptionnel.
Pour bien marquer qu'il s'agit dans l'église d'un lieu sacré, il faudra accomplir certains gestes pour y entrer, se découvrir, s'agenouiller, prendre de l'eau bénite, là encore nous sommes en présence d'un comportement sacré. On ne peut pas approcher d'un lieu sacré sans un certain nombre de formalités, de précautions. L'eau bénite couvre le fidèle qui ose approcher du sacré de la " contamination " (de la colère de Dieu dira-t-on autrement). En même temps certains lieux deviennent très exactement sacrés : les tombes de martyrs, les lieux où se sont produits des miracles, les lieux où ont été exécutés les martyrs, etc. Il y a pèlerinage pour approcher de ces endroits, de même qu'il y a volonté, par exemple de se faire enterrer près des tombes des martyrs, et ceci très anciennement dans l'Eglise. Ainsi se trouve littéralement évacuée toute la désacralisation judéo-chrétienne. La Bible affirme " la terre au Seigneur appartient " (toute la terre, sans distinction) mais ici au contraire, il y a des endroits où Dieu est plus proche, plus sensible, plus présent. Il y a des endroits sacrés, le reste étant profane…
Il faut bien dire, d'ailleurs, que dans le protestantisme, qui a été un effort de désacralisation, qui a tant profané le sacré catholique, on assiste à des processus identiques : le temple est devenu lui aussi un certain lieu sacré, la Bible est devenu matériellement un livre sacré. J'ai connu le temps où cela était un scandale affreux d'arracher une ou des pages de la Bible. Invinciblement le sentiment du sacré réinvestit cela même qui était destiné à le détruire…
D'ailleurs le mot qui n'est presque jamais employé dans le Nouveau Testament va être de nouveau couramment utilisé. Il y aura le chant sacré, la musique sacrée, l'art sacré, les livres sacrés, les vases sacrés, de même que l'on enseignera une histoire sacrée, différente, séparée de l'histoire universelle des hommes. Ce changement de vocabulaire est tout à fait caractéristique du changement de mentalité, de conception religieuse et de la réapparition de ce sacré que la pensée juive et chrétienne avait lors de sa puissance vive, de son origine sévèrement combattu.
Ce monumental échec historique me paraît l'une des preuves les plus flagrantes de l'inhérence du sacré à l'existence de l'homme, et de la permanence de cette force active (je ne dis pas objective) qui mène l'homme à chaque fois reconstituer un univers sacré sans lequel, apparemment il ne saurait exister dans l'univers qu'il s'est constitué". Seul le sacré (et non pas l'aventure proposé par le christianisme) le rassure et lui donne le sentiment à la fois de la stabilité de son univers et du sens immuable, et objectif, de sa vie.
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Commentaires : Titre: LA SUBVERSION DU CHRISTIANISME Nom ou Pseudo: fruisande Email: Pays: France Réaction: Ma vie a été transformée par ce livre, on pourrait dire ma vie spirituelle, mais surtout ma vie quotidienne car ce livre m'a appris la responsabilité. le message du Christ est subversif, il est à écouter, à entendre et surtout à vivre dans l'engagement, engagement non pas envers une Eglise, mais pour les hommes assemblés autour de Celui qui fait vivre. je ne comprend pas que ce livre soit aussi peu connu
-------------------------------------------------------------------------------------------- Titre: LA SUBVERSION DU CHRISTIANISME Nom ou Pseudo: graindesel Email: Pays: France Réaction: Bonjour. Bien que pensant que le sacré est indissociable de la religion et donc que toute tentative de l'éluder est vaine et vouée à l'échec,il m'a semblé intéressant de lire ce que pouvait dire J. Ellul à propos de ce qu'il appelle "la subversion du christianisme". Hélas, hélas,lorsque j'ai cherché à acheter cet ouvrage,quelle ne fut pas ma stupéfaction de constater qu'il valait 98 euros!Très très cher pour un livre s'appuyant sur des bases qui me semblent erronées... Dommage car la radicalité de l'approche de cet auteur sur la question de savoir comment le christianisme en est arrivé à être le fondement d'une société basée sur l'injustice me paraissait valoir examen. Contrairement donc à l'auteur du commentaire précédent, ma vie ne sera pas changée par la lecture de ce texte réservée , à l'heure actuelle, à quelques privilégiés dont je ne fais pas partie.
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